Arnaud Le Gonidec (Université Toulouse 1 Capitole) présentera et soutiendra sa thèse de doctorat en droit le 6 janvier 2022 , intitulée ‘Le fort portant le faible’. Un adage de l’ancien droit fiscal saisi par la doctrine (1649-1600), dirigée par Mme Christine Mengès-Le Pape.
Le jury est composé de :
- Christine Mengès-Le Pape, professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, directrice de thèse
- Laurent Mayali, professeur à l’Universté de Californie, rapporteur
- François Saint-Bonnet, professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas, rapporteur
- Danielle Anex-Cabanis, professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole
- Hinda Hedhili Azema, maître de conférences à l’Université de Bordeaux
- Frédéric F. Martin, professeur à l’Université Paris-Est Créteil
- Mathieu Touzeil-Divina, professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole
Résumé :
« Le fort portant le faible » est une règle de péréquation qui apparaît dans les actes souverains au mitan du XIVe siècle. Métaphore emblématique de l’idéologie royaliste, elle l’est aussi du principe de personnalité de l’impôt et des juridictions d’élection. Les tailles personnelles pèsent sur les personnes « selon leurs facultés ». Le droit français ne reconnaît que des biens corporels – meubles et immeubles – alors que l’idée de faculté évoque une qualité subjective – comme la liberté (Florentin D. 1, 5, 4) – qui invite à considérer la dignité et la pauvreté des contribuables. Les « facultés » répondent au principe de destination qui préside d’ordinaire au statut du numéraire : immeuble pour l’acquisition d’un « héritage » ; meuble pour l’achat d’un cheptel. Mais qu’en est-il si cet argent est destiné aux dépenses alimentaires et domestiques ? Le superflu des uns doit alors payer pour le nécessaire des autres. Principe de péréquation, « le fort portant le faible » marque aussi l’institution de la solidarité fiscale à travers la substitution de l’impôt de quotité par celui de répartition. La charge de la taille personnelle repose en effet in solidum sur les « corps » des paroisses et en cas de non-valeurs « il faut faire porter au puissant la décharge du faible ». La doctrine des communautés de mainmorte précise la cause de cette obligation solidaire : outre la répartition « le fort portant le faible » de l’impôt seigneurial (art. 126), les coutumes de La Marche énoncent que cet écot ne doit pas franchir le seuil en-deçà duquel les contribuables seraient réduits à l’indigence (art. 129). La communauté forme en effet une « espèce de fraternité » or le frère, dit Ulpien (D. 17, 2, 63) que reprend la doctrine, ne peut pas exécuter son frère au-delà de ses « facultés » (quod facere potest) : la solvabilité du premier répond donc de l’insolvabilité du second. La rigidité du statut de mainmorte inscrit ces communautés au rang de « corps universel » au même titre que les paroisses et les républiques ; la mainmorte apparaît en effet comme la conséquence patrimoniale de l’universitas. Le « corps universel » conjugue deux notions complémentaires : l’ »universel » exprime une transcendance à travers le temps illustrée en droit successoral par la maxime « le mort saisit le vif » ; le « corps » évoque une solidarité sociale illustrée en droit fiscal par l’adage « le fort porte le faible ». Ces deux maximes épousent la forme de l’interdit : une interposition entre deux termes en contradiction. « Le mort saisit le vif » appartient en effet à la doctrine des interdits possessoires et, au-delà de l’institution fiscale de l’État, « le fort porte le faible » apparaît aussi comme un interdit constitutif du « droit françois » qui émerge des guerres civiles dans le grand œuvre de systématisation des juristes étudiés. Les deux solidarités verticale et horizontale du « corps universel » s’entretiennent au registre de la convivialité. La règle « à même pain et à même pot » est en effet l’expression d’une sociabilité « taisible » qui conditionne la succession des corps de mainmorte et plus généralement des communautés coutumières. La prohibition de ces communautés par l’ordonnance de Moulins (1566) est largement désapprouvée par les juristes de droit coutumier qui étaient trop marqués par les guerres civiles pour ne pas comprendre que tout « corps » est socialement signifiant en dehors des solennités de droit. La paroisse est moins une communauté légale qu’une communauté coutumière dont le caractère fraternel est signifié par un trait d’esprit humaniste : « Le puits fait la fratrie » (phrear unde phratrias). Le bien commun (res publica) préside ainsi à la fraternité civile et à la solidarité fiscale. Ces principes animent aujourd’hui le bloc de constitutionnalité : le terme de « faculté » à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 ; celui de « fraternité » dans la devise républicaine à l’article 2 de la Constitution de 1958.
La soutenance se déroulera à 14h30, à l’Université Toulouse 1 Capitole, 2 Rue du Doyen Gabriel-Marty 31042 Toulouse Cedex 9, Arsenal, Salle des Thèses.