In memoriam – JEAN COUDERT (14 décembre 1927 – 4 octobre 2018)

JEAN COUDERT
14 décembre 1927 – 4 octobre 2018

Jean Coudert est né à Montmédy le 14 décembre 1927 ; il est décédé le 4 octobre 2018 dans sa 91ème année. Après des études de droit et de lettres, il rédige sa thèse sur Les stipulations et promesses pour autrui en droit romain, soutenue à Nancy le 4 juin 1955 (Nancy, 1955, Société d’Impressions Typographiques, 244 pp.). Il poursuit cette étude sous la direction de deux maîtres : Jean Imbert, le directeur de la thèse, et le professeur Raymond Monier qui « lui en avait indiqué le sujet » (p. 3). Un temps rattaché au CNRS, Jean Coudert, Agrégé des Facultés de droit en 1957 (avec Jean Gay dont il fut l’équipier principal comme Jean Gay fut le sien), est rattaché à l’Université de Bordeaux et aussitôt détaché à Fort de France. Il se marie en 1959 à Saint Claude (Guadeloupe) ; deux enfants naîtront, à Nancy, de cette union.

De retour en Lorraine, Jean Coudert poursuivra sa carrière d’universitaire dans une Faculté riche de talents variés, et une Université dont l’histoire est présente dans certaines de ses études. Il s’adressera à des publics d’étudiants captivés par les enseignements d’un maître dont ils appréciaient la passion et l’esprit acéré mais redoutaient les épreuves écrites et orales. Il dirigea le Centre Lorrain d’Histoire du Droit (fondé en 1950 par le professeur Jean Imbert) de 1964 à 1995, constituant un riche fonds d’histoire lo-cale et suscitant mémoires et thèses. Il fut sollicité en 1987 pour présider le jury d’Agrégation d’histoire du droit et noua à cette occasion de solides ami-tiés. Son éméritat lui permit de continuer à encourager de jeunes chercheurs et nous avons eu le plaisir de diriger ensemble sa dernière thèse, celle de Julien Lapointe dont nous avons cosigné la préface lors de la publication de l’ouvrage (« Sous le ciel des Estatz ». Les États généraux sous le règne personnel de Charles III, Paris, Institut Universitaire Varenne, 2016, p. XI-XIII).

Surtout, Jean Coudert accomplira son destin d’infatigable chercheur affrontant des sources difficiles d’accès, variées et complexes, qu’il a toujours tenu à éditer. Très fortement attaché à sa petite patrie, la Lorraine, peut-être hanté par les lointaines origines carolingiennes de son sol natal, marqué par deux savants, les médiévistes Charles-Edmond Perrin et Jean Schneider (dont la vie avait été durement marquée par la Terreur nazie), en relation avec des savants passionnés par les mêmes thèmes de recherche (tel le professeur Jean Yver et ses collègues de la Faculté des lettres), Jean Coudert a entrepris, en juriste et en historien, une vaste enquête centrée sur la coutume, les usages, les styles, la mémoire qui soutient un droit vivant et concret, façonné par les traditions, fort de ses symboles, une enquête qui ne s’est achevée qu’aux derniers jours de sa vie (avec un deuxième volume consacré aux Rapports de droit, dont le texte a été achevé en 2018, confié au professeur Patrick Corbet, président du CTHS, un ouvrage actuellement sous presse).

Les ouvrages de Jean Coudert montrent à l’évidence une connaissance intime de l’histoire de la Lorraine et de ses institutions : La Coutume de Vaudémont, Nancy, Berger-Levrault, 1970, 303 p. ; Le Style de Vaudémont, Nancy, Berger-Levrault, 1972, 173 p. ; Usages judiciaires et institutions coutumières dans le bailliage de Châtel-sur-Moselle (1450-1723), Nancy, PUN, 1985, 160 p. ; Les rapports de droit de la Moselle romane (XIIIe-début du XVIIe siècle), Paris, Édition du CTHS, 401 p. ; avec Marie-Thérèse Allemand-Gay (qui rédigera une longue étude en guise de préface), Un magistrat lorrain au XVIIIe siècle. Le premier Président de Coeurderoy (1733-1800) et son diaire, Paris, L’Harmattan, 1997, 463 p.

Il faut mettre ces ouvrages en relation avec les études particulières publiées au cours de la carrière de Jean Coudert. Certaines, au nombre de vingt-deux, ont été rassemblées et publiées en hommage à l’auteur par le Centre Lorrain d’Histoire du Droit (Droit, Coutumes et juristes dans la Lorraine médiévale et moderne, Nancy, PUN, Histoire du Droit, 2010, 587 p., préface d’Albert Rigaudière) en même temps qu’un colloque était organisé pour compléter l’hommage rendu par l’Institution universitaire (Le juriste et la coutume du Moyen Age au Code civil, Nancy, PUN, Histoire du Droit, 2014, 272 p. ; compte-rendu de Jean Hilaire, RHD, 2015, n° 4, p. 601-603).

Jean Coudert a toujours été très soucieux d’affirmer les droits de ce qu’il nomme « la recherche fondamentale et désintéressée » (Le style de Vaudémont, p. 7, « Au lecteur ») tout en faisant partager cette idée que « la technique juridique » n’avait été « retenue que dans la mesure où elle révélait et permettait de mieux comprendre les hommes, leurs idées et leur genre de vie ». Et l’histoire, telle qu’il la concevait, se doit de réaliser une sorte d’osmose entre toutes les disciplines utiles au savant soucieux d’approcher les réalités du passé, de la philologie à la rhétorique en passant par l’histoire des idées politiques. Rien de tout cela n’est évidemment inutile puisque l’« érudition peut guérir de la superstition » (La Coutume de Vaudémont, Avant-propos, p. 5). Mais l’érudition peut être aussi pleine de gaieté comme l’attestent de trop rares études ; ainsi celle qui décrit les usages et certains rituels de table envisagés en partant de l’étude d’une sélection de rapports de droit (Droit, Coutumes et juristes, p. 155 s.).

Se guérir de la superstition n’est pas la seule fin qu’assignait Jean Coudert à l’histoire. Son étude est aussi repos et plaisir dans la tourmente d’une vie et d’une actualité aussi tumultueuse qu’une mer agitée. La volonté d’oublier parfois le présent, le goût des lointaines origines, peut-être révélateurs de la conscience aiguë du tragique de notre condition et du métier d’historien, se présentent à la lecture de cette oeuvre et teintaient certains propos de notre aîné. On retrouve cet accent existentiel dans la citation de Giono (tirée d’un livre publié en 1948, Noé) que Jean Coudert voulait voir paraître sous une photo de lui dans sa bibliothèque (celle reprise en haut de notice et qui illustre un recueil réalisé pour lui rendre hommage) : « Je ne connais pas de repos plus magnifique que celui qui consiste, quand on le peut, à se perdre dans la nuit des temps ».

Antoine ASTAING
Professeur à l’Université de Lorraine

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